L’éducation à domicile en contexte de pandémie : normaliser ou soutenir?

L’éducation à domicile en contexte de pandémie normaliser ou soutenir

Avec la pandémie qui se poursuit, les parents-éducateurs sont fatigués. Fatigués de ne pas avoir accès à leurs amis d’éducation à domicile et à leurs activités éducatives et sociales habituelles. En bref, à leur réseau de soutien et d’entraide. Ils sont aussi frustrés de ne pas avoir droit à un traitement équitable avec le milieu scolaire pour pouvoir former leurs propres bulles éducatives.

Mais plus encore, les parents-éducateurs sont sous pression à cause des demandes de suivi de la part du Ministère. Ils sont stressés d’avoir à découper leur pratique éducative en compétences et en activités spécifiquement prévues par le Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ), tel que requis par le règlement sur l’enseignement à la maison. Stressés de perdre du temps de qualité en famille et du temps d’auto préservation nécessaire en ce contexte de pandémie pour remplir des documents administratifs.

Pourquoi ne serait-ce pas le bon moment pour questionner nos modèles d’éducation? D’encourager et de s’inspirer de la résilience et de la créativité des familles-éducatrices? D’aller voir comment faire « autrement » et non d’exiger que ces familles « entrent dans le moule »?

[Voici l’adaptation d’un extrait de mon article : « L’apprentissage en famille : note de synthèse », publié à l’automne 2019 dans la revue des sciences de l’éducation de McGill. Note : l’expression « apprentissage en famille » réfère à celle d’éducation à domicile.]

La pratique de l’apprentissage en famille est le plus souvent appréhendée et conceptualisée par rapport à l’école, qu’elle vise à être meilleure ou différente (Pattison, 2015).

En utilisant le concept de « meilleur », une comparaison est faisable entre les deux systèmes, ce qui implique une mesure de l’apprentissage en famille selon une conception scolaire de l’éducation, et de ce fait, une acceptation des buts et des enjeux de l’éducation tels qu’appréhendés dans le système scolaire.

Cependant, cette idée de « meilleur » repose sur le concept de la bonne éducation, concept encore plus large et non défini parce qu’il oscille entre l’éducation adaptée spécifiquement à un enfant et la conception politique et culturelle de l’éducation d’une génération d’enfants au sein d’une société (Pattison, 2015).

Ainsi, le concept d’éducation alternative n’est pas assez large, car il correspond plutôt à la notion d’ALTERNATIVITÉ dans l’éducation régulière plutôt qu’à UNE ALTERNATIVE À cette éducation régulière donc une éducation « différente ».

Lorsque l’on considère l’apprentissage en famille comme « différent » de l’éducation régulière, de la forme scolaire de l’éducation, un nouveau modèle éducatif se crée. Et celui-ci peut sembler incohérent par rapport aux normes scolaires : c’est perturbant et inconfortable pour beaucoup de citoyens de voir un enfant d’âge scolaire non-scolarisé, car cela constitue une déviance des normes sociales admises. Et que dire d’une progression, d’un contenu enseigné, de l’organisation temporelle de l’éducation ou même d’objectifs éducatifs qui diffèrent du curriculum scolaire?

Cela devient donc un défi pour les autorités en place qui problématisent la situation au vu du peu de données en matière d’effectifs, de réussite éducative ou de modèles éducatifs alternatifs dans une société qui accorde une importance particulière aux évaluations numériques et standardisées.

L’apprentissage en famille se retrouve alors dans une position d’incompatibilité et d’incomparabilité avec son équivalence normative, et c’est ce que l’étude de l’apprentissage en famille pourrait permettre d’élargir, soit le concept d’Éducation tel qu’il est admis actuellement.

Le terme de suitable education [éducation adaptée ou appropriée] ne devrait donc pas être relié à la notion de scolarisation mais aux exigences relatives à la vie dans une société donnée et aux engagements internationaux pris par celle-ci (Davies , 2015). À cet effet, la Convention des droits de l’enfant (1989) stipule dans l’article 29 que « les États parties conviennent que l’éducation de l’enfant doit viser à :

a) favoriser l’épanouissement de la personnalité de l’enfant et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités ;

b) inculquer à l’enfant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et des principes consacrés dans la Charte des Nations Unies ;

c) inculquer à l’enfant le respect de ses parents, de son identité, de sa langue et de ses valeurs culturelles, ainsi que le respect des valeurs nationales du pays dans lequel il vit, du pays duquel il peut être originaire et des civilisations différentes de la sienne ;

d) préparer l’enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre, dans un esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d’égalité entre les sexes et d’amitié entre tous les peuples et groupes ethniques, nationaux et religieux, et avec les personnes d’origine autochtone ;

e) inculquer à l’enfant le respect du milieu naturel. »

Par ailleurs, depuis le XXe siècle, une quasi-majorité ne voit scolarisation et éducation que comme des synonymes, et ce, car les parents, en demandant à l’État de prendre la responsabilité de l’éducation des enfants, lui ont attribué les rôles de s’assurer :

– que l’enfant reçoive une éducation qui lui permette de développer des valeurs et la capacité de vivre dans une société autonome;

– que l’éducation dispensée respecte les conventions des Droits de l’Homme et des Droits de l’Enfant si cet État y adhère;

– de développer un système scolaire universel, soit gérer les demandes parentales relatives à l’éducation de leurs enfants (Davies, 2015b).

Dans le cas de l’apprentissage en famille, les parents ne demandent pas l’aide de l’État, qui, dans ce cas, pourrait théoriquement n’y jouer aucun rôle. Toutefois, en pratique, celui-ci a un rôle à jouer dans le processus de clarification de ce qui constitue une éducation adaptée, notamment de part 1) sa responsabilité de s’assurer du respect du droit des enfants à l’éducation et 2) ses intérêts civiques et économiques à l’égard de l’instruction de ses futurs citoyens.

Revenons à la situation québécoise

Le développement de compétences fondamentales en littératie, numératie et résolution de problème telles que prévues par la Loi sur l’instruction publique dans un contexte d’éducation à domicile ne peut-il d’opérationnaliser que selon les modalités prévues par le PFEQ?

Une non-exposition au Programme de formation de l’école québécoise entraîne-t-elle une compromission du droit à l’éducation? Serait-ce un motif permettant d’inférer que l’éducation dispensée par un parent-éducateur est inappropriée?

La loi dit que l’enseignement reçu par l’enfant doit être approprié. Approprié et pas équivalent. Une éducation différente n’est pas équivalente au PFEQ. Mais une éducation différente peut être appropriée.

Dans le contexte actuel d’imposition du PFEQ, certains parents-éducateurs créatifs réussiront à aligner leur pratique réelle d’éducation à domicile avec les cases administratives à remplir, et ce, au coût d’une regrettable perte de temps auprès de leurs enfants. Mais d’autres parents-éducateurs préféreront changer leur pratique et leurs intentions éducatives pour se faciliter la vie alors que la même charge administrative s’appliquera, car ne s’impose pas expert en éducation scolaire qui le veut. Les parents-éducateurs ne sont pas des professionnels de l’éducation telle qu’enseignée à l’université, mais des experts de leurs enfants. Ces changements pourraient donc avoir pour conséquence la compromission de leur vision éducative initiale, celle que le parent considère comme étant dans le meilleur intérêt de son enfant.

Je lance une roche dans l’univers : devrait-on alors se rappeler les grands principes éducatifs de la Convention des droits de l’enfant afin d’opérationnaliser un encadrement acceptable de l’éducation à domicile, dans le respect d’une éducation appropriée selon la Loi sur l’instruction publique ou la réussite du modèle scolaire québécois est-elle si impressionnante que l’on peut se permettre de continuer à l’imposer à tous les enfants du Québec, avec les conséquences que cela suppose?

C’est le propos de l’extrait de l’article ci-dessus qui, rappelons-le, rapporte qu’une éducation différente peut résulter en une incompatibilité avec le modèle scolaire puisqu’ils ne sont pas comparables en termes d’opérationnalisation. En plus clair, ce n’est pas pertinent de tenter de reproduire (ou d’imposer) le modèle scolaire dans un contexte d’éducation à domicile. Durant une pandémie mondiale.

Plus généralement, une éducation différente devrait être encouragée parce qu’elle permet l’élaboration de pratiques innovantes répondant aux enjeux actuels en éducation et aux défis qui sous-tendent le choix de retrait de l’école de certaines familles-éducatrices. Parce que (surprise!), il est fort possible que d’autres familles, sans qu’elles ne quittent le système scolaire, vivent des défis semblables.

Une note personnelle pour finir : mon parcours scolaire obligatoire de 6 à 16 ans s’est déroulé en France et je n’ai donc pas été exposée à 100 % du PFEQ. Pourtant, titulaire d’une maîtrise en éducation d’une université du Québec, je me considère comme fonctionnelle dans la société québécoise. En fait, la très grande majorité des adultes québécois n’a pas été exposé au PFEQ version 2021 et nous nous portons très bien merci.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteurs et ne sauraient refléter la position de l’AQED.

Traduit par Vincent Chandler et Erica Gipson